Au sujet de la laïcité

La question de la laïcité est l’objet de nombreuses prises de positions publiques, médiatiques, voire politiques. Dans ce contexte, il a semblé bon à notre paroisse de relayer une réflexion du Cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, sur le sujet. Cette réflexion pourra fournir de bons points de repère à ceux qui en cherchent.


« Mais de quelle laïcité parle-t-on ? »

Hommes politiques et médias reparlent beaucoup de laïcité ces temps-ci, et souvent de façon combative. À côté de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, elle devient pour certains le quatrième pilier de notre vie républicaine. On veut l’étendre à tous les secteurs de l’espace public. On somme les religions de la respecter. On souhaite la promouvoir de façon plus convaincante dans tout notre système éducatif. Mais de quelle laïcité parle-t-on ? Le mot lui-même est susceptible de compréhensions très différentes. Certaines sont compatibles avec une approche chrétienne de l’homme et de la société, d’autres pas.

La neutralité de l’État
Nous trouvons l’adjectif laïque comme un qualificatif donné à la République française dans la Constitution de 1958. À l’article 2, il est dit : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La laïcité de la République désigne la neutralité de l’État et son indépendance vis-à-vis des fois religieuses et des convictions philosophiques. Laïc, l’État n’est inféodé à aucune religion, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas de relations avec elles. Cette laïcité est une laïcité de respect. Aucun citoyen ne doit être discriminé à cause de sa croyance ou de sa religion. C’est pour respecter cette diversité de convictions ou de croyances que les fonctionnaires de l’État respecteront cette neutralité et veilleront à ne pas manifester sur leur lieu de travail leur propre appartenance. Cette neutralité se vit en France (sauf dans les départements concordataires d’Alsace-Moselle) selon les principes de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Relisons en particulier ses deux premiers articles :

Article premier :
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

Article 2 :
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte.

Si les religions en France ne sont plus de droit public, la mission de la République n’en est pas moins d’assurer la liberté de conscience, la liberté de religion et de garantir aux religions leur expression publique. En effet, la loi parle bien de « culte » et non pas simplement de convictions personnelles. La seule restriction que met la loi à l’expression publique des religions est le risque de trouble à l’ordre public.

Une laïcité de peur et de défiance
Or, nous voyons aujourd’hui s’exprimer une autre conception de la laïcité. Réactivant un vieux laïcisme de combat qui s’était exprimé lors de la Troisième République contre l’Église catholique, un certain nombre de partisans de cette laïcité militante demandent l’exclusion des religions et des expressions religieuses de « l’espace public ». Pour eux, les religions sont souvent synonymes de fanatisme, de volonté de puissance et de violence. À défaut de les voir disparaître, ils veulent les cantonner dans l’espace clos des convictions personnelles et des lieux de culte. L’espace public doit être aseptisé, exempt de toute référence religieuse. La moindre manifestation religieuse sera taxée de « prosélytisme ». La République ne connaîtra que des citoyens dont on ne veut pas prendre en compte l’appartenance religieuse éventuelle. Parfois, on militera pour aider ce citoyen à prendre des distances vis-à-vis de sa propre appartenance communautaire. Cette perspective n’était pas absente dans la Charte de la Laïcité que le ministre Vincent Peillon avait élaborée pour les établissements d’enseignement en France.
Nous avons eu récemment deux exemples révélateurs de cette exclusion du religieux. Quand des chrétiens coptes ont été décapités en Libye, les responsables français ont tu volontairement cette appartenance chrétienne pour ne parler que de « citoyens égyptiens » ; la RATP à Paris a voulu interdire la mention « Pour les chrétiens d’Orient » sur des affiches annonçant un spectacle en leur faveur, prétextant un respect de la laïcité dans l’espace public, avant de revenir sur cette décision devant le tollé que cette interdiction avait suscité.

Une laïcité de dialogue et de rencontre
Disons-le tout net. Cette laïcité de peur et de défiance n’est pas la nôtre. Notre société n’est pas laïque. Si l’État est laïc, la société française ne l’est pas. Elle est diverse, pluraliste, traversée par de multiples courants de pensée. Chacun a le droit de pouvoir exprimer ses convictions dans le respect de l’ordre public. Pourquoi un défilé syndical, une manifestation des gays et lesbiens seraient vus comme l’expression d’un droit d’expression légitime et pas une manifestation ou une procession religieuse ? Pourquoi le « droit au blasphème » serait-il admis dans l’espace public et non pas l’expression légitime des différentes religions ?
Ce n’est pas en voulant exclure les différences et en les renvoyant à l’espace privé des consciences que nos sociétés démocratiques et pluralistes édifieront la fraternité. C’est en facilitant la rencontre, la découverte mutuelle et le dialogue qu’elles y contribueront. Pour moi, la laïcité est ce code de bonne conduite qu’élabore une société pluraliste. Ce code implique liberté de conscience, distinction de la loi religieuse et de la loi civile, volonté de ne pas imposer de façon autoritaire à l’ensemble de la société ses propres convictions religieuses, ajustement de ses propres revendications avec celles des autres. Cette vie ensemble appelle un vrai travail d’édification. C’est un défi. C’est aussi une belle aventure, où chacun est appelé à apporter sa pierre. Et de cette aventure nul n’est exclu.

Et l’Islam ?
Certes, c’est à propos de l’Islam et des différents courants qui traversent les communautés musulmanes que cette laïcité de combat s’est de nouveau exprimée. Il ne s’agit de nier ni les difficultés ni les problèmes. Il faut aider un certain nombre de citoyens français de confession musulmane à s’insérer dans une société démocratique et pluraliste comme celle de la France, une société dans laquelle ce n’est pas l’Islam qui formate la vie sociale. Ce ne sont pas de simples incantations sur la « laïcité » qui y contribueront mais l’apprentissage de ce code de bonne conduite dont je parlais un peu plus haut. Cela ne se fait pas en un jour. N’oublions pas qu’il a fallu près d’un siècle d’ajustement et de jurisprudence pour aboutir à un « modus vivendi » entre la République et l’Église catholique.

Les catholiques et la laïcité
Les catholiques sont respectueux de la laïcité, de cette « saine laïcité » dont parlait, après le pape Pie XII, le pape Jean-Paul II, une laïcité, non de peur et de défiance, mais de dialogue et de respect, une laïcité qui distingue les domaines mais appelle chacun à être acteur de fraternité, non en dépit de sa religion, mais bien au cœur même de sa foi religieuse.

Cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux

Réflexion sur la place des religions dans la société française par le cardinal Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux, publiée dans le journal Église catholique en Gironde (avril 2015).

Source : Site de la conférence des Évêques de France

Crédit photo : https://www.aciprensa.com/Cardenales/biografias/ricard/